Leurre Pâleurs - Mûrir muer - 2

"Faisons-lui essayer les vêtements, et il sera parfait, notre faux Techet ! Tu vas en faire des ravages, mon mignon !"

Des ravages ? Mais je ne fais que ça, des ravages ! Une averse de grêle juste avant la récolte, un nuage de criquets ne font pas davantage de dégâts que moi ! Si j'avais su...

	Ce soir-là, après son travail, Nicole m'avait raccompagné chez moi... En chemin, elle m'avait expliqué comment les journées se passent au lycée, où Clea venait de m'inscrire. Je n'osais pas dire à Nicole combien elle me plaisait, alors je bafouillais un peu de toutes les essences. Je disais qu'ici, je ne connais que mes voisins, Ifana et Patteo, et un peu Olivier aussi, et elle, elle m'a regardé avec un air triste tout en me souriant, et elle m'a dit: - Tu n'oublies pas quelqu'un ? - Non, je ne vois pas... - Quelqu'un qui aime raccompagner ses amis à l'heure où la fraîcheur envahit le canyon ? L'heure où le désert bleuit, et où les fleurs s'endorment ?
	Et elle rigolait ! De mon côté, j'avais raconté le peu dont je me souvenais de TunT2, et que je ne voulais pas l'ennuyer en effeuillant mes histoires... Elle m'a regardé bien en face, sans rigoler cette fois-ci: - Techet, pour la centième fois, tu es le type le plus intéressant de ce quartier, je suis très heureuse d'être ton amie, j'aime t'entendre parler, j'aime tes doutes aussi et puis... et puis je ne sais plus quoi dire ! Hi hi ! Et là, j'ai senti qu'il se passait quelque chose... J'avais l'impression de sortir de mon tronc, de voir un grand cristal platine au-dessus de nos têtes, et des tas de petits symboles d'amitié qui voletaient autour de nous... Je me suis approché de Nicole, si près d'elle que nos silences déjà se parlaient.
	J'ai posé la main sur son épaule... Je pensais qu'elle allait se reculer, ou m'envoyer un grand coup de branchage dans la figure, mais non, elle s'est rapprochée elle aussi, et elle m'a enlacé... Et on s'est effleurés... Après, elle m'a expliqué qu'elle pensait qu'elle ne me plaisait pas, qu'elle ne voyait pas comment un type comme moi, aussi exceptionnel, pouvait avoir envie de sortir avec une fille aussi ordinaire qu'elle, et des tas de bêtises comme ça. Moi, pour l'arrêter, je l'embrassais encore et encore. Et mon noyau battait à toute vitesse quand elle prononçait mon nom: - Techet... Techet...

"Techet... Techet... tu rêves ?

Nolina nous a permis de regrouper les vêtements ici, dans l'armoire de son oncle Dilar. Je t'ai apporté quelques vieilles affaires de mon garçon, tu verras, tu n'auras jamais été aussi élégant ! Je les ai faites nettoyer, elles sont comme neuves !"

Des affaires d'Amblain... Je ne sais pas si j'ai mérité ça...

Enfin, à Dieu vat ! On verra bien ! Hop ! J'aime bien quand ça tourne !

Mais... Euh... Quelle horr... euh...

Peut-être que je peux essayer d'autres habits que ceux-ci ?

"Oui... Bien sûr. Alors, prenons cet ensemble marron ! C'est celui qu'Amblain portait quand il a été reçu Premier au Brevet. Je ne regarde pas... Je suis sûr que tu vas tellement aimer cette veste que tu vas vouloir la garder pour dormir, comme mon grand garçon !"

Ah bah ça, ils vont bien rigoler, les copains, au lycée, quand je leur raconterai ça ! Alors, voyons cet ensemble...

Mais ce n'est pas possible, qui peut porter des trucs pareils ?
Même un épouvantail n'en voudrait pas !

Et comment je vais faire pour refuser ces oripeaux sans vexer Sénège ?

Madame Aubeline, madame Aubeline, euh... comment dire... est-ce qu'il n'y a que les vieux habits d'Amblain qui... euh...

"Je crois que je te comprends, Techet... Attends, laisse-moi faire !"

"Dites, Dame Sénège, vous êtes très généreuse."

"Mon amie, je me dévoue pour le bien de notre communauté, je sais où est mon devoir !"

"Mais, proposer ces habits magnifiques pour notre Techet, je sais que le garçon est malheureusement très peu soigné... Jamais vous ne pourrez récupérer ces vêtements, et..."

"Aubeline, ne me prenez pas pour une idiote ! Ce garçon n'a aucun goût, voilà tout ! Vous préférez nous imposer les hardes de votre fils ? Grand bien vous fasse, je m'en lave les mains !"

Hi hi ! Sénège elle a dit "je m'en lave les mains", elle qui se les lave déjà cinquante fois par jour ! Hi hi !



Aaah ! Voilà qui est déjà beaucoup mieux !

"Ah ah ah ! Je rêve éveillée ! Avez-vous perdu la tête ? Ces vêtements ne conviennent aucunement à un garçon de cet âge ! On dirait un citadin qui vient d'acheter une maison de campagne, et qui met une panoplie de gentleman farmer en croyant se vêtir comme les gens du cru ! C'est d'un cocasse !"

Ah bah non, alors, si tout le monde se fiche de moi, ça ne va pas !

Madame Aubeline, Madame Sénège, je vous remercie beaucoup de vouloir me prêter vos vêtements, mais il faut que je vous dise... Déjà ces faux cheveux me tiennent chaud, la 2e écorce, celle en maquillage, me démange un peu, il faudrait vraiment que les vêtements aient des couleurs qui ne me fassent pas mal aux yeux comme ceux-ci.

Auriez-vous quelque chose de moins... euh... de plus vert ?

"Techet, tu as raison ! Modifier ton apparence est une chose, mais il faut aussi que tu te sentes à l'aise. Je te propose ce blouson en skaï, et aussi ce T-shirt jaune, tu vois, il a quelques motifs verts. Qu'est-ce que tu en penses ?"


Là, on dirait que ça va fleurir. Le blouson ne fait pas trop fané, et je me sens bien dedans !

Et voilà...

Dans le miroir, voici un reflet de moi-même... Que je ne reconnais pas... Et j'ai l'impression que ce reflet lui non plus ne me reconnaît pas. Je sais que c'était ce que nous voulions, que je ressemble comme deux brins d'herbe à un adolescent qui serait né ici, mais là, ça me fait tout drôle !

Au moins, j'espère que Melric, et les autres conseillers, seront contents, et que leur plan fonctionnera !