Leurre Pâleurs - Avant l'heure - 2

"Oh ! Nolina ! Rien n'a changé ! Ce passage est exactement le même que dans mes souvenirs !"

"Eh oui ! Rien ne change ici ! Mon oncle Dilar me racontait que, quand cette maison a été construite, il y a plusieurs siècles, le pays n'était pas encore pacifié. Il disait: "Si ce n'est pacifié, mieux vaut ne pas s'y fier !"
C'est pour cela que ces vieilles bâtisses avaient toujours plusieurs sorties vers l'extérieur, ainsi que des issues dérobées entre les pièces. Comme ça, en cas d'attaque, les habitants pouvaient fuir rapidement."

"Jadissime ! Et vos ancêtres se sont servis de ces passages ?"

"Alors ça, je ne pourrais pas te dire ! Je n'ai jamais osé interrompre mon oncle pour le lui demander. Mais pourquoi pas ? Et voilà ! Nous débouchons dans la bibliothèque."

"Regarde bien ce mur, Techet. Remarques-tu quelque chose ?"

"Euh... C'est une boiserie en acajou, c'est ça ?"

"Hi hi ! Oui, mais non, ce n'est pas ça ! Dans quelques minutes, je te poserai à nouveau la question, et tu comprendras. Viens, sors par la porte derrière toi !"

"Voilà, nous avons re-traversé le vestibule, et maintenant, nous sommes dans le salon bleu. Tout à l'heure, c'est ici que siègera le Conseil Communal. Aubeline est venue ce matin m'aider à arranger la pièce. Mon père, Melric, sera assis là, à gauche, à son bureau, les conseillers prendront place sur les chaises tout autour. Vos places, à Clea et toi, ce sont les deux chaises du milieu, en face du bureau de mon père. Les places d'honneur, en quelque sorte !"

"Tu sais, Nolina, c'est un honneur dont Techet et moi, nous nous passerions bien !"

"Oui, Clea, je comprends, ce que je peux être gaffeuse ! Mais venez plutôt dans ce coin. Comme je t'avais dit, Techet, je te repose la question de tout à l'heure... Regarde bien ce mur. Remarques-tu quelque chose ?"

"Ah oui ! Le papier peint, là, il est plus sombre !"

"Exactement ! Et c'est parce que... dans l'épaisseur du mur... il y a... attention, regarde bien... une porte secrète !"

"Oooh ! C'est... c'est magique !"

"A toi l'honneur, Techet... et raconte-nous ce que tu vois..."

"Oooh ! C'est sombre ! Et froid et un peu humide..."		"Et on dirait que... Oui, il y a une autre porte secrète de l'autre côté !" "Eh bien, vas-y, ouvre-la !"		"Je me suis retrouvé dans la bibliothèque... L'autre porte secrète, c'était la boiserie d'acajou de tout à l'heure !"

"Ce passage-là, c'est mon grand-père, ou mon arrière-grand-père, je ne sais plus ! qui l'a fait construire quand il a agrandi le manoir. C'est pour ça que le mur d'extérieur de cette partie de la maison est fait de pierres blanches bien taillées, au lieu des pierres grises de l'ancien manoir.
Et ces deux passages permettent, par la bibliothèque, de rejoindre le grand salon, et de sortir par la terrasse.

Maintenant, il ne sert plus qu'à jouer à cache-cache ! Il faudra que j'y fasse un peu de ménage, on se met de la poussière partout avec ces vieilles pierres !"

"Nous allons revenir dans le vestibule. J'aurais dû te faire un plan du manoir pour que tu te repères mieux, c'est tout moi, ça, je n'ai jamais l'idée qu'il faut au moment où il faut ! Mais, au rez-de-chaussée, vous avez presque tout vu !"

"Je vais devoir vous laisser, je dois finir de préparer des sandwiches pour ce soir. Voulez-vous vous installer au salon, ou bien préférez-vous la bibliothèque ?"

"Je sais que tu refuseras que je t'aide, alors je boude."

"Hi hi ! Clea, tu n'as pas changé. Cela m'ennuie de vous abandonner, je suis vraiment une hôtesse déplorable ! Je... Mais après tout, Clea, tu connais la maison aussi bien que moi ! Veux-tu continuer la visite avec Techet à l'étage ? Si vous ne faites pas attention au désordre, et si cela l'intéresse, bien entendu."

"Oui, oui ! Bien sûr !"

En montant l'escalier, je me disais que c'était curieux, je savais qu'il y avait des plantes ou des animaux qui se camouflent pour survivre, mais je ne pensais pas que les objets aussi pouvaient montrer une face pour mieux en cacher une autre.
Tourbe ! Tout d'un coup, je me suis rendu compte que je n'avais pas pensé à Nicole pendant que Nolina me montrait ces passages, et je ne sais pas si j'en suis soulagé, ou encore plus triste.

Clea m'a d'abord amené dans la chambre de Nolina, avec un sourire plein de mystère dans les yeux. J'étais content de voir qu'elle s'amusait, mais moi c'est toujours à Nicole que je pensais.

"Tu vois, Techet, Nolina a transformé cette petite pièce, autrefois secrète, en cabinet de toilettes".

Mais ces pièces, elles ne sont plus du tout secrètes, puisque tout le monde sait où elles sont !

Ces murs sans fenêtre me glacent et je tremble à moitié en écoutant Clea, je crois qu'elle raconte que presque toutes les pièces de l'étage sont accessibles par ce drôle de long terrier en brique.

La seule salle de bains que je voudrais visiter, c'est celle où le miroir de Nicole me renverrait son image, que je cherche au-delà du brouillard de mes yeux.

"Et cette pièce-ci, Nolina en a fait un salon privé, pour rire, elle l'appelle son boudoir ! C'est là que je dormais quand Grand-Mère acceptait que je passe la nuit chez Nolina et Melric. Mais ça a bien changé depuis."

Cette fois-ci, il fallait que je parle à Clea du lycée, je ne pouvais pas en garder rétention plus longtemps.

"Clea, tu sais, il faut que je..."
Mais on a entendu un grand cri qui venait d'en bas:

"Aaahh !"

"Nolina ? Tout va bien ? Qu'est-ce qui se passe ?"

"Oui, oui, ça va ! Pardon si je vous ai effrayés ! Ne vous dérangez pas ! Ce n'est rien du tout, juste une petite coupure en hachant les oignons ! Plus de peur que de mal ! Ca m'arrive souvent, je suis si maladroite !"

"Tu es sûre que ça ira ?"

"Oui, oui, restez là-haut ! En plus, je pleure, à cause des oignons, je dois être affreuse !"

"Pauvre Nolina ! J'irais bien l'aider, mais ça la gênerait tellement... Tant pis, continuons !" 

"Ici, Techet, c'est la chambre de Melric. Quand nous étions petites filles, Nolina et moi nous n'entrions ici que pour nous faire gronder après une bêtise, alors cette chambre continue encore aujourd'hui à m'impressionner !"

J'aurais dû lui dire, à Clea, que, à propos de bêtise... mais j'ai eu beau râtisser tout mon courage, je n'en avais plus assez pour lui parler.

Mes pensées revenaient vers Nicole. Combien de fois ai-je refusé de l'accompagner faire du shopping... Alors qu'aujourd'hui je donnerais tous les arbres de toutes les forêts de TunT2 pour qu'elle accepte que je porte ses paquets !

Quand on est repassés dans le couloir, Clea a insisté pour que j'entre à nouveau dans le terrier en brique tout sombre.

Je n'y tenais pas plus que ça, mais je me suis dit que, seul dans le noir, je pourrais tranquillement tourner et retourner le champ de mes pensées envers Nicole, sans craindre que Clea ne devine mon trouble.

C'est un souvenir d'elle, un jour où elle m'attendait au Mall, qui m'a assailli. Elle expliquait à Olivier que non, voyons, les fantômes ne font pas de balançoire tant qu'il fait jour.

Et on avait ri longtemps, elle et moi, en nous promettant de continuer à nous pousser l'un l'autre, quand nous serions devenus des fantômes.

Entre tous ces couloirs et ces pièces secrètes, on entre d'un côté, on sort de l'autre, j'étais complètement perdu !

Est-ce naturel que tout autour de nous, fleurissent de fausses apparences ? Car je sens que cette maison cache d'autres mystères. Moi-même je dissimule encore à Clea les événements du lycée, qu'elle finira bien par connaître. Et pour le Conseil de ce soir, pourquoi lui fait-on toutes ces cachotteries ?

"Alors Techet, ça t'a plu ? Nous n'avons pas tout visité, il y a encore d'autres pièces à cet étage, comme la "Dunette", cette mini-terrasse qu'on appelle comme ça parce qu'en jouant, on faisait semblant d'être sur un bateau ! Et celles où vivait l'oncle Dilar, le frère jumeau de Melric. Je l'ai toujours appelé "oncle Dilar", mais c'était l'oncle de Nolina, pas le mien, bien sûr ! Il s'amusait à prendre une grosse voix pour nous répéter: si vous n'êtes pas sages, je vous enferme dans les passages ! Et nous, on se sauvait en riant, et..."

"Clea ? Techet ? J'entends un taxi, je crois que c'est mon père qui rentre !"

"Très bien ! On descend ! Techet, ne traîne pas comme ça !"

Mais pourquoi est-ce qu'elles crient comme ça, d'un étage à l'autre, toutes les deux ?